Germain Thévenier
Médaillé de Sainte-Hélène


Nous tenons à remercier Eric Stubbe pour les documents et renseignements familiaux qu'il met à disposition sur cette page.
Ainsi que l'ACMN pour la reproduction de cet article paru dans la revue de l'ACMN 2e semestre 2003.
 
 

 

Renseignements sur Germain Thévenier
Un des deux guides de la dernière victoire de Napoléon

  Il est minuit, quand Marie Joseph Deblocq, l’épouse de Germain Thévenier, met au monde son deuxième enfant, et c’est encore un gros garçon. Naît-il un peu avant ou un peu après minuit… ? monsieur le curé Gilissen, recteur de la paroisse de la Ville Basse à Charleroi, ne jugea pas nécessaire de le préciser. C’est donc le 22 ou le 23 septembre de l’an 1793, au n° 71 de la rue de la Neuve Église dans le quartier de la Ville Basse à Charleroi, que Germain Joseph Thévenier fils, poussa son premier cri.

Cette rue de la Neuve Église prit le nom de rue Puissant en 1840 pour honorer Jacques André Ferdinand Puissant, ancien bourgmestre et fondateur des hauts-fourneaux et laminoirs de la Providence, avec le concours de l’anglais Thomas Bonchill. C’était une rue très passante qui abritait un « louageur » de voitures ainsi que les bureaux Puissant. C’est l’endroit où Germain jouait avec les enfants de son âge, et là aussi qu’il prit goût à l’équitation. Au cours de ces jeux dans un terrain vague à l’extrémité de la rue, il aurait noué des relations d’amitié avec Ferdinand Puissant d’Agimont (1785-1833), fils de Catherine d’Heusy et de Joseph Edmond Puissant.

Dès son plus jeune âge, le jeune Germain exerça le métier de messager sur le trajet de Charleroi à Bruxelles. Ses contacts avec le maître des forges Puissant devinrent de plus en plus fréquents et il fit pour Ferdinand Puissant de nombreux voyages, transportant pour lui du charbon et des poutrelles métalliques. Sa probité, sa force herculéenne et sa parfaite connaissance des chevaux firent de lui un messager d’élite recherché, auquel on confiait des valeurs importantes, notamment celles des relais de poste.

En 1812, lors du tirage de la conscription, il est déclaré " bon pour le service ". Il fait partie des conscrits de Jemappes, compris sur la liste de désignation, canton de Charleroi, sous le numéro 40.

Au S.H.A.T (Service Historique de l’Armée de Terre à Vincennes, près de Paris), on trouve Germain Thévenier dans le contrôle nominatif des troupes du 14e Régiment de Dragons pour la période 13 mars 1811 au 1er janvier 1814.

Il y figure avec le numéro matricule 2183 avec les renseignements suivants :
« Thévenier Germain Joseph, fils de Germain Joseph et de Marie Joseph Deblocq, né le 23 septembre 1793 à Charleroi, département de Jemappes. 1m78, visage ovale, front couvert, yeux gris, nez épaté, bouche moyenne, menton rond, cheveux et sourcils châtains, teint coloré.
Domicilié à Charleroi, profession peintre.
Dragon à la 8e compagnie, 4e escadron, rayé le 10 août 1814 comme disparu aux armées. Il y a de nombreux cas de radiation : on rejoint, après l’abdication de Napoléon 1er, le pays natal.
Aucune campagne ne figure : il ne semble pas avoir eu le temps matériel d’avoir fait la fin de la campagne de Russie. »


Germain se présentait comme un solide gaillard et un cavalier émérite, description qui le désignait pour l’arme des Dragons. Il arrive au dépôt du 14e Dragons alors à Metz, le 16 novembre 1812. À cette époque, c’est le général Arrighi qui était chargé d’organiser les renforts de cavalerie à destination de la Grande Armée. Napoléon espérant prendre assez de chevaux aux Alliés (Russes et Prussiens) pour faire la remonte de la cavalerie, il fit partir immédiatement pour l’Allemagne les éléments disponibles du 4e escadron du 14e régiment de dragons, soit une centaine de cavaliers à pied et la formation militaire fut dispensée aux étapes.

Germain arrive à Dantzig (aujourd’hui Gdansk) où il est sous le commandement du général de division Rapp, comte de l’Empire. Napoléon nomme celui-ci à la défense de la place forte portuaire de Dantzig, située sur l’embouchure de la Vistule. L’importance de cette ville était triple : elle empêchait que des renforts ennemis prennent la Grande Armée d’Allemagne à revers, elle retardait les Alliés dans leur avance immobilisant de gros effectifs pour en faire le siège et enfin, elle permettait à l’Empereur, en cas d’offensive, de se fournir en hommes et en matériel pour compléter l’armée dans les délais les plus brefs. Napoléon nomme RAPP au commandement du 10e corps de la Grande Armée, formée des restes des divisions Grandjean, Heudelet et Loison, auxquels vint s’adjoindre le 14e régiment de dragons fort d’un seul escadron.

Le 14 janvier 1813 le général Rapp est nommé gouverneur de Dantzig.
Le 16 janvier, 50.000 Russes et Prussiens investissent la place et lancent, le 5 mars, un assaut général repoussé par Rapp.
Le 9 juin, il tente une sortie, mais celle-ci est repoussée.
C’est probablement pendant cette sortie que Germain sauva la vie de son capitaine qui commandait le seul escadron de dragons du 14e présent à Dantzig. Celui-ci, en reconnaissance, lui offrit sa superbe pipe allemande surmontée d’un couvercle et au fourreau de porcelaine décoré, que l’on peut voir sur la photographie de Germain.

Le 29 novembre 1813, vivres et munitions épuisés, Rapp capitule après avoir obtenu la promesse de rentrer avec ses hommes en France.
Cette promesse fut violée et la garnison ne regagna la France qu’en juillet 1814. Il est fort possible que celle-ci ait été amenée captive en Ukraine.
Rentré chez lui, Germain reprend son travail de messager et s’adonne aussi à la peinture en bâtiment.

Le 15 juin 1815 :
Napoléon dans sa dernière campagne,
Itinéraire des 12 au 21 juin (Serge Delloye-S.B.E.N) :
« … À midi Napoléon entra à Charleroi par la porte de la rue de Marcinelle ; le vicomte de Turenne, chambellan de service, le guide vers la demeure choisie pour être le « Palais », le château Puissant.

Le château fut transformé en quartier général pour la nuit du 15 au 16 juin. L’Empereur est accueilli par la douairière Catherine d’Heusy et son fils, le maître des forges Ferdinand Puissant d’Agimont. Le château se trouvait à l’extrémité de la rue Neuve Église. »

Au château, Napoléon apprit qu’au n° 71 de la rue Nouvelle Église, habitait un ancien dragon de la Grande Armée, Germain Thévenier. Il avait besoin d’un guide connaissant bien la région et le fit mander. Il le nomma guide pour mener son armée de Charleroi à Fleurus. Celui-ci lui donna de précieuses indications sur la topographie de Charleroi, Gilly et du Campinaire.

L’après-midi du 15 juin, l’Empereur s’arrête avec son état-major et ses guides locaux, l’ancien dragon Germain Thévenier et le géomètre Simon de Fleurus, dans une guinguette : le cabaret de la Belle-Vue (actuellement l’Université du Travail ), près de la jonction des anciennes routes de Bruxelles et de Namur. On lui apporte une chaise sur laquelle il s’installe à califourchon. Il est un peu somnolent, malgré les acclamations de la Jeune Garde qui défile devant lui. (J.L. Delaet)

Ni les " Hourra" ni les " Vive l’Empereur" ne l’empêchent de s’assoupir, ce qui vaudra à la Belle-Vue de s’appeler aussi « l’Auberge de la Somnolence » (S. Delloye).

De Charleroi à Fleurus.
S. Delloye, S.B.E.N, périodique n°13, 1991 :
« Le Carolorégien Germain Thévenier, ancien de la Grande Armée, reconverti en messager sur le parcours Charleroi Bruxelles, assiste à la bataille de Ligny réconfortant son homologue Simon. »

Les souvenirs de l’épopée impériale dans la région de Waterloo en 1900, par Fierens-Gevaert. Belgia 2000 :
Sur le chemin de Ligny.
« Sur la route pâle qui serpente entre les champs dégarnis par l’automne, un paysan pique ses vaches brunes et rousses. Un grand chapeau de paille ombrage le visage de l’homme. Il siffle un refrain. Je lui demande si Ligny est encore loin, et, comme il s’y rend, il offre de m’accompagner. Nous bavardons, et, tout de suite, il me parle de la guerre.
« ….. À Ligny m’sieur, il y a encore ben des souvenances d’el’ guerre. Il n’y a pas bien longtemps vivaient près de chez moi cinq vieilles filles qu’avaient toutes les cinq nonante ans. Elles vivaient ensemble et avaient d’la raison encore comme vous et moi. Elles parlaient toudi d’el’ guerre, car elles avaient connu les deux guides de l’Empereur : Simon le géomètre et Germain Thévenier. Parait que Simon, pendant toute la bataille de Ligny, ne cessa de trembler comme une feuille au bruit du canon. Mais Thévenier était un gaillard comme on en voit peu, même dans not’ pays où les carriers n’ont pourtant pas froid aux yeux. Ce Thévenier était un ancien soldat. Il s’était battu en Allemagne. Dans je ne sais plus quelle bataille, un Prussien s’était jeté sur son capitaine.
Thévenier qu’était un hercule, sauva la vie de son supérieur, qui, par reconnaissance, lui donna une pipe. On a conservé c’te relique dans la famille, qu’habite Charleroi, avec la capote de ce brave trouée de balles. À ce qu’on m’a dit, Napoléon garda Thévenier jusqu’au lendemain de not’bataille et lui fit bien des politesses. »

En reconnaissance de ses mérites, Germain Thévenier reçut la Médaille de Sainte-Hélène. Celle-ci était accordée aux militaires français et étrangers, des armées de terre et de mer, ayant combattu sous le drapeau français entre 1792 et 1815.

Voici ce qu’on peut lire dans le Journal de Charleroi du 21 août 1857 :
Chronique Locale.
Parmi les débris des grandes guerres qui ont échappé aux orages des temps et des révolutions et qui vont recevoir de Napoléon III la médaille d’honneur, faible mais juste récompense de leurs combats, de leurs souffrances, de leurs privations et de leur dévouement au grand Capitaine, nous comptons en notre ville les vaillants vétérans dont les noms suivent…, dont : 4° Germain Théveniez (repris tel quel de l’article), au 14e dragon, a fait les guerres d’Allemagne et a servi de guide à l’Empereur pour Ligny en 1815.

Cinquante-deux ans après avoir servi de guide à l’Empereur, Germain Thévenier s’éteignit le lundi 1er décembre 1867.

Il laissa des souvenirs qui ont été transmis de génération en génération jusqu’à son descendant direct, Eric Stubbe, et qui font partie de sa collection privée : son brevet n° 16 946, sa médaille de Ste Hélène, sa canne (anciens frères d’armes), divers meubles et sa photographie qui figure en tête de cet article.

Médaillé de Sainte Hélène, inscrit à la Grande Chancellerie sous le numéro 16 946