Les Campagnes et Batailles 

Nous sommes renseignés sur les campagnes et batailles effectuées par 1386 des 2201 survivants de 1857, ce qui permet d'avoir un aperçu des destinations de nos conscrits. Bien entendu une étude statistique précise ne peut être réellement entreprise du fait des biais de recrutement (les conscrits des années 1792 à 1800 ont plus de chances d'être décédés en 1857 que ceux des années 1810-1815…et la mémoire défaillante de beaucoup d'entre eux rend imprécise la relation de leurs campagnes). On peut quand même évoquer quelques points forts. 

Les guerres de la Révolution: 
On n'en retrouve que très peu de traces dans les documents concernant nos médaillés: 

2 anciens se souviennent être allés en Egypte en 1798: Jean Layreloup, de Chassagne, ne se souvient plus (à 83 ans) de ses régiments, par contre, il se rappelle bien être allé en Egypte, à Jaffa et à St Jean d'Acre. Il avait auparavant combattu en Italie et au Piemont, et sera blessé 15 ans plus tard à Leipzig… 

Une vingtaine d'anciens militaires citent les campagnes d'Italie entre 1796 et 1801. Un seul était à Marengo: Jean Jacques Vigouroux, du Puy, ancien gendarme à Cheval. 
 

La Campagne d'Allemagne (1805): 

Une petite dizaine de médaillés évoque la campagne d'Allemagne, dont trois étaient à Austerlitz. Parmi eux: François Nemoz de Brioude, du 30° d'infanterie de Ligne, incorporé au 3° Corps d'armée du Maréchal Davout, fut blessé le soir du 2 décembre 1805. Joseph Chabrier de Lavoute sur Loire, lui, brigadier au 2° régiment de carabiniers, incorporé à la division Nansouty a chargé les russes sous les ordres de Murat. 

La Campagne de Prusse et de Pologne (1806-1807): 

Un grand nombre d'anciens combattants de la Haute-Loire ont par contre fait la campagne de Prusse. J'en ai compté 72 , 42 d'entre eux sont des anciens du 21° régiment d'infanterie légère (ce qui n'est pas trop étonnant si on se souvient que les conscrits de la Haute-Loire des classes 1806 et 1807 étaient préférentiellement versés dans ce régiment). Trois grandes batailles ponctuent cette campagne: le 14 octobre 1806, c'est Iena-Auerstadt: 16 de nos anciens y étaient, tous au 21 ° Léger. Ce 21° Léger, intégré à la division Gazan, sous les ordres du Maréchal Lannes prit une part fondamentale à la victoire d'Iena. Il est peu étonnant que tous ces anciens grognards se souviennent de la bataille… Un seul par contre se souvient de celle d'Eylau le 8 février 1807. Il s'agit de Jean Adam François Molette-Morangies, neveu du général, caporal au 6° Régiment d'infanterie légère, incoroporé à la division Marchand, sous les ordres de Ney. Il est blessé au cours de cette bataille et termine ici sa carrière militaire, rentrant à Siaugues avec une pension annuelle de 227 F. 5 conscrits, enfin ont participé à la bataille de Friedland le 14 juin 1807, dont 4 du 21°Léger. 

La Calabre, Corfou et les Iles Ioniennes: 

14 de nos soldats vellaves, presque tous issus des hauts-plateaux et conscrits de 1806 à 1808 se sont retrouvés incorporés dans le 14° Régiment d'Infanterie Légère, en occupation à Corfou et dans les iles Ioniennes de 1806 à 1814. C'était aussi le cas de 18 de leurs compatriotes, isolés en Calabre avec leurs régiments (22° et 23° Léger) pendant les mêmes périodes. 

La Campagne d'Espagne (1808-1814): 

Il s'agit là d'une des destinations les plus fréquentes de nos conscrits. La proximité géographique a peut-être joué un rôle dans ce fait. Toujours est-il que 434 de nos futurs médaillés ont à un moment ou à un autre mis les pieds dans l'enfer de la péninsule ibérique. Ils proviennent de divers régiments. Là encore, le 21° Léger amène son plus fort contingent: 67 d'entre eux en faisaient partie. Viennent ensuite les 7°, 44°, 67° et 115° de Ligne, ainsi que le 31° Léger. Parmi ces soldats, au moins 47 reviennent avec des blessures diverses et 26 seront prisonniers, des espagnols, puis parfois des anglais… 16 ont participé au siège de Sarragosse (février 1809), 4 à celui de Badajoz (janvier à mars 1811), 4 étaient à Salamanque (22 juillet 1812), 5 à Vittoria (dont 3 du 21° Léger….) le 21 juin 1813. Enfin, 58 de nos compatriotes étaient à la bataille de Toulouse le 10 avril 1814. Bien qu'en France, il s'agit là du dernier acte de la tragédie espagnole. Ils étaient répartis dans une bonne vingtaine de régiments différents, certains reculant depuis l'Espagne, d'autres venant de France. 

La Campagne d'Autriche (1809): 

70 conscrits ont participé à la campagne d'Autriche. 5 d'entre eux étaient à Wagram les 5 et 6 juillet 1809, trois servaient dans le 23° Léger, dans la division Durutte, sous les ordres d'Eugène de Beauharnais. 

La Campagne de Russie (1812): 

171 anciens militaires ont survécu à la campagne de Russie. Parmi eux, 21 cavaliers de divers régiments (dragons, cuirassiers, hussards). 8 étaient à Smolensk le 17 août 1812. Claude Pascal, d'Alleyras, soldat au 2° Bataillon du 17° de Ligne, était aussi à la Moskowa le 7 septembre 1812, Jean Chambon, de Retournac, cavalier au 3° escadron du 7° Hussards déclare, lui, avoir assisté à l'incendie de Moscou du 15 au 18 septembre 1812. Didier Fromenteau, de Brives-Charensac, a été "porté comme mort" après la retraite. Jean Jacques Vigouroux, soldat au 32° de Ligne, vieillard de l'Hospice en 1857, avait, lui, été fait prisonnier le 27 novembre 1812 à la Berezina. Comme 20 autres de ses compatriotes, il a connu les geoles russes, et peut-être même la Sibérie, comme l'ont déclaré Louis Gauthier, du Monastier cavalier au 7° Hussards ou Antoine Arnaudon de St-Christophe-sur-Dolaizon, du 23° Bataillon du Train des équipages. 

La Campagne de Saxe (1813): 

108 au moins de nos médaillés étaient présents pendant la Campagne de Saxe et ses batailles. Seuls André Roussel de Brioude, sergent de voltigeurs au 21°Léger, et Antoine Chanony de Blesle se souviennent de la bataille de Lützen le 2 mai 1813. Par contre sur les 18 qui disent avoir été à Bautzen le 20 mai suivant, 14 ont gardé une blessure, souvent grave. 21 étaient à Dresde le 27 août dont 5 du 24° régiment de Ligne. A Leipzig enfin, terrible défaite le 16 octobre 1813, ils sont 46 soldats de la Haute-Loire, répartis dans divers régiments. Beaucoup sont dans le 155° de Ligne, division Rochambeau du 5° Corps d'armée, sous les ordres du général Lauriston. Ce 155° de Ligne va perdre son colonel, Sennegon-Lagosniere, mortellement atteint d'un coup de feu le 16 à Wachau et mort le soir même. 

La Campagne de France (1814): 

Ils sont 197 à avoir signalé leur participation à la campagne de France. Les Régiments les plus représentés: le 67° de Ligne, cantonné à Gênes, qui a reculé vers la Savoie, participant à la défense du Fort de l'Ecluse et de Chambéry pour finir devant Lyon début mars, tout comme le 79° de Ligne, qui a combattu en Savoie et à Grenoble, ou le 20° de Ligne. C'est aussi à cette occasion que seront engagés pour la dernière fois les Gardes d'Honneur, et notamment le 4° régiment, dans lequel étaient incorporés les conscrits de la Haute-Loire. 

Les Cent jours et Waterloo (1815): 

53 anciens militaires de la Haute-Loire déclarent avoir combattu à Waterloo. Ils étaient répartis dans divers Régiments, mais quelques noms doivent être retenus: ceux qui ont survécu des grognards de la Vieille Garde: Louis Cubizolles, de Monistrol d'Allier, grenadier, qui "fut au secours de l'Empereur au retour de l'ile d'Elbe", Jean Louis Sejalon, de Laussone, grenadier, Pierre Belmont, de Brioude, sergent, blessé, Barthelemy Dufour, d'Allegre, grenadier, "décoré" (sans doute de la Légion d'Honneur), Antoine Lherbret de Ste Sigolène, chasseur, la jambe Droite emportée par un boulet, "porté pour la croix". 

  

Les Prisonniers 

120 de nos médaillés ont été prisonniers de guerre. Les lieux de leur capture sont parfois indiqués, et très variables, de Corfou à Smolensk en passant par Victoria ou le retour de la Martinique… La majorité des prisonniers dont on connaît la date de capture l'ont été entre 1812 et 1814, lors des grands revers de la fin de l'Empire, en Russie, en Espagne ou lors de la campagne de Saxe de 1813. Leurs geôles ont été essentiellement en Russie, en Angleterre ou en Espagne. 

Outre les déportés de Sibérie, beaucoup de nos compatriotes ont souffert dans les mouroirs espagnols et anglais. Claude Simard, de St Eble, a survécu 5 ans dans l'enfer de Cabrera, petit îlot pelé des Baléares sur lequel les privations et les mauvais traitements préfigureront avec un siècle et demi d'avance d'autres camps de toute aussi sinistre mémoire. Jean Pierre Sauron, de Jax tiendra, lui 4 ans et trois mois dans les mêmes conditions. Ce sont les deux seuls à en être revenus vivants et entiers. Antoine Boisson, caporal de grenadiers au 45° de ligne, reviendra bien, lui, des pontons anglais, mais atteint d'aliénation mentale, qui le maintient, 40 ans après, dans un état de profonde indigence. Une vingtaine d'autres prisonniers connaîtront les prisons anglaises. 

Le temps de captivité est connu pour une quarantaine de nos médaillés. Il varie de 3 mois à 7 ans (pour André Coudert, de Bouzols, fait prisonnier à Corfou en 1808 et qui ne rentrera d'Angleterre qu'en 1815…). La durée moyenne de captivité est de 29 mois. 

A la tragédie de la prison étrangère se rajoute parfois l'injustice. Claude Charlot, de Lavaudieu, soldat au 21° Léger, incorporé en 1804, vétéran des campagnes de Hollande, de Prusse et de Pologne, est fait prisonnier à Badajoz en avril 1812, et il connaît pendant un an les prisons anglaises. A son retour pourtant, porté comme déserteur, il découvre que "la colonne mobile est passée dans ses foyers et a dissipé tout son patrimoine". 40 ans après, il est signalé comme indigent par le maire de son village. 

  

Les blessures 

 355 médaillés déclarent avoir été blessés. Il s'agit sans doute d'une sous-estimation, car à l'évidence dans certaines communes, ce genre de renseignement n'a pas été pris en compte lors de l'établissement des listes. Sur cette base de 355 fiches, on peut néanmoins s'essayer à une analyse sommaire à partir des tableaux ci-dessous: 

Nombre de blessures: 
 
Nbre indet.
1 Blessure
Plusieurs Blessures
31
230
Indéterminé
2
3
4 et +
24
44
12
7
Si les 2/3 des anciens militaires ne déclarent qu'une blessure, près d'1/3 d'entre eux ont été blessés plusieurs fois, dont certains à de multiples reprises. Le "champion" est Louis VIANEZ de Freycenet Latour, qui entre 1803 et 1816 déclare avoir été blessé… 17 fois !! 

Localisation des blessures: 
 
Tête
Tronc
Localisation Indeterminée
20
10
121
Tête
Oreille
Œil
Côté-reins-dos
Ventre
11
6
3
8
2
  

Membre Supérieurs
Membres Inférieurs
95
116
Droit
Gauche
Indet.
Droit
Gauche
Indet.
50
39
6
58
24
34
Main
Reste
Main
Reste
32
18
24
15
On a pu déterminer l'emplacement des blessures 241 fois. 

Bien entendu, les blessures du tronc et de la tête, par définition beaucoup plus graves et ne permettant pas une survie à long terme sont sous-représentées. Seulement 10 de nos médaillés ont été blessés au tronc, dont 2 ont survécu à des blessures au ventre (les plus graves à cette époque où la menace infectieuse était quasiment imparable). 

Sur les 211 blessures aux membres, un nombre plus important concerne les membres inférieurs et un nombre particulièrement élevé le membre inférieur droit (presque deux fois et demi plus souvent touché que le gauche). Il est difficile de donner une explication à cette assymétrie… On la retrouve, mais de manière moins importante pour les membres supérieurs, le droit étant plus souvent atteint que le gauche, la main droite blessée 32 fois, contre seulement 24 fois pour la gauche. Il est possible que nous ayions là un témoin d'une pratique rapportée par les contemporains qui consistait à se mutiler volontairement un ou deux doigts de la main droite afin de ne plus pouvoir manier un fusil et donc d'être réformé et renvoyé dans ses foyers. L'échantillon paraît toutefois un peu limité pour en conclure de manière certaine à cette pratique. La dyssimétrie pourrait être due à une sous-déclaration des blessures de la main gauche (considérée comme moins importante pour la capacité au travail) au moment du recensement, ou tout simplement à des pratiques au combat (parade des coups de sabre avec la main droite)… 
 
 

Origine des blessures: 
 
Armes à feu
Artillerie
Armes blanches
divers
63
12
16
3
Coup de feu
Balle
Boulet
Eclat d'obus
Biscaïen
Sabre
Baïonnette
Lance
Engelures
Brûlure à l'œil
Infection
42
21
4
4
4
11
3
2
  

La majorité des blessures pour lesquelles une origine a été citée provient d'armes à feu. Dans les deux tiers des cas, on n'a que la mention d'un "coup de feu", dans le 1/3 restant, est précisé "une balle". 

Les blessures dûes à des pièces d'artillerie sont plus rares (sans doute parceque plus graves lorsqu'elles survenaient). 4 de nos médaillés ont reçu un "éclat d'obus", 4 autres un "biscaïen" (balle contenue dans des obus à mitraille). 4 seulement ont survécu à un boulet de canon. Dans les quatre cas ça a été au prix de mutilations majeures: Pierre Chausse, de Chanaleilles a eu les deux mollets emportés, Antoine Lherbret de Ste-Sigolène, la 

jambe droite, Pierre Dorel de St-Ferreol-de-Cohade a eu le bras droit amputé, Jean Baptiste Orlhac, de Venteuges la cuisse emportée. 

Enfin, les blessures par arme blanche (reçues dans les corps à corps ou les charges de cavalerie) sont également moins fréquentes. Le plus souvent il s'agit de sabres (sans doute de cavalerie), à deux reprises d'un coup de lance (la rareté s'explique sans doute aussi par l'exceptionnelle gravité des blessures dûes à cette arme). On ne trouve que trois coups de baïonnette, témoins d'affrontement direct de fantassins. 

Il faut bien sûr relativiser les résultats du tableau ci-dessus, qui ne porte en fait que sur un tout petit nombre des blessures déclarées (94 sur 355), elles mêmes sans doute largement en dessous de la réalité.