La distribution 

Après un mois d'octobre et de novembre calme, les événements se précipitent le 24 novembre. Le ministre fait parvenir à cette date au préfet de la Haute-Loire 5 caisses contenant 925 médailles de Ste Hélène et les brevets correspondants, numérotés de 26305 à 27229 (il y a une différence de 6 médailles qu'on n'a pas pu expliquer…). Ces médailles sont destinées aux anciens militaires dont les états de service ont pu être confirmés par des actes officiels (livret militaire, "congé" dûment visé, etc…). Les autres devront attendre que leurs déclarations soient validées par des recherches dans les archives du ministère de la guerre. 

Le préfet accuse réception, et fait remarquer à son ministre que "…il va être difficile de distribuer les brevets, qui ne mentionnent pas le domicile…." 

Il semble quand même qu'il ait trouvé une solution, car la distribution commence, avec un peu de retard, initiée par une circulaire du préfet aux maires du département, datée du 21 décembre. Car c'est encore une fois le maire qui est chargé de cette tache. Selon les communes, elle se fera dans la discrétion et en privé, ou au contraire dans la solennité, le dimanche après la messe, avec discours et cérémonial. 

Ces remises sont l'occasion de manifestations de propagande patriotique, sur le mode un peu emphatique cher à cette époque. 

A St-Julien-Chapteuil par exemple, la distribution est effectuée dès le dimanche 27 décembre : 

"Monsieur le Maire, en quelques mots bien sentis a fait connaître à ces vieux militaires le but de l'institution de cette médaille créée comme dernier souvenir de Napoléon à son armée. M. Brion, chevalier de la LH, ancien sous-lieutenant, après que chacun de ses anciens compagnons d'arme a été décoré de la Médaille a pris la parole et a fait comprendre combien l'empereur Napoléon 3 porte d'intérêt aux anciens militaires et leur a rappelé quels étaient leurs devoirs envers sa Majesté dont ils sont la sollicitude et que, comme alors qu'ils étaient sous les drapeaux, ils devaient se montrer des modèles d'ordre et de dévouement à sa personne. Chacun des médaillés était vivement ému et cette allocution a été accueillie aux cris souvent répétés de Vive l'Empereur…" 

La cérémonie est suivie d'une réunion plus conviviale : 

"Après la cérémonie, tous ces débris de la vieille armée ont été réunis par les soins de Monsieur le Maire qui leur a offert un vin chaud (on est le 27 décembre….) pendant lequel deux toasts ont été portés, l'un à sa Majesté, l'autre à l'armée

On en profite également pour décider qu' "à l'avenir les médaillés de Ste Hélène, réunis à ceux de l'armée de Crimée, assisteraient à toutes les cérémonies publiques et serviraient d'escorte au drapeau national", première manifestation sans doute d'un patriotisme triomphant qui atteindra son apogée dans les années 1920. 

A St Paulien, le samedi 17 janvier 1858, la distribution solennelle, agrémentée d'un discours patriotique du maire, est suivie d'un Te Deum dans l'église. 

A Ceyssac, la remise est moins solennelle, les 4 médailles sont distribuées le dimanche après la messe. A Riotord c'est à la mairie seulement. 

Dans de nombreuses communes, les distributions sont faites au domicile des médaillés sans cérémonie particulière. A St-Pal-de-Mons, le maire, très lyrique décrit ainsi en forçant un peu le trait une remise à un vieux grognard handicapé : " …Ce vieux militaire était couché sur un misérable grabat, atteint d'une fièvre cérébrale depuis environ 4 mois. Il ne pouvait remuer aucune partie de son corps. La vue de cette médaille l'anime, (il) se soulève, se fait habiller en criant -Vive l'empereur ! Vive ce bon général! Vive ce bon chef que nous aimions tant et qui nous aimait de même ! Je veux recevoir sa récompense debout ! Saurais je de mourir en la recevant au moins je le reverrai plus tôt dans l'autre monde…

Dès que les distributions sont terminées dans sa commune, le maire transmet un récépissé, signé des récipiendaires, à la préfecture. Les derniers arrivent en mars 1858… en même temps que les premières réclamations ! En effet la communication ne paraît pas avoir été très efficace, et de tous côtés affluent les mêmes plaintes : de vieux grognards de l'Empire, brûlés par mille batailles, le corps couturé de cicatrices n'ont rien reçu, alors que certains jeunes blancs-becs de leur commune qui n'ont jamais vu le feu se pavanent avec la nouvelle décoration à la boutonnière… ce qui est injuste c'est que les oubliés sont bien souvent de véritables guerriers, qui, parcequ'ils ont souffert pendant des années sur les pontons anglais ou à Cabrera se sont retrouvés sans papiers à leur libération. Et personne n'a pris la peine de leur expliquer que la réception de la médaille n'était que reportée après vérification de leur déclaration verbale. 

Début mai 1858, un certain Trinqueau, limonadier de son état, ancien artilleur domicilié à Alleyrat, interpelle le préfet en visite à Brioude pour exiger des explications sur le retard apporté à la distribution de la "précieuse médaille". Il semble que le préfet n'ait pas su trop que lui répondre, se contentant de lui demander un courrier, que Trinqueau lui envoie dès le 19 mai. 

En fait, le 10 mai, la situation s'était débloquée avec l'envoi d'un nouveau lot de 731 médailles accompagné des brevets correspondants, numérotés de 176845 à 177574 (ce qui n'en fait que 729… là encore deux brevets ont mystérieusement disparu…) Il s'agit cette fois des derniers candidats de la première liste, ceux qui n'avaient pu prouver leurs droits, mais dont on avait pu trouver trace dans les archives militaires. 

Les distributions reprennent, échelonnées entre le 13 juillet et le 22 août, surtout dans les arrondissements de Brioude et Yssingeaux, qui paraissent avoir été défavorisés lors de la première série de remises. Le sous-préfet d'Yssingeaux accuse réception le 28 juillet des médailles de son arrondissement, tandis qu'à Brioude, la distribution tant attendue a lieu le 1er août. A Brioude justement, il semble que les tergiversations aient conduit à envoyer une liste en double. 60 médaillés, qui reçoivent leur décoration ce 1er août, seront encore portés sur la liste de la troisième distribution quelques mois plus tard… 

Car le 11 décembre 1858, le préfet de la Haute-Loire, reçoit encore un troisième lot de 555 médailles, numérotées de 314 622 à 315 175 qui permettront d'assurer la quasi-totalité des dernières demandes, arrivées dans les derniers mois de 1858 (tels ce maire du Brignon, qui envoie sa liste définitive seulement le 27 octobre… plus d'un an après la date officielle!) 

Dans les années suivantes, courant 1859 ou même plus tard, jusqu'en 1869, quelques attardés réclameront leur dû. Les documents ne permettent pas de confirmer que la médaille leur fut vraiment attribuée, sauf pour Jean Jacques Barthelemy, menuisier au Puy, qui sera le dernier décoré dans le département en 1869, à l'âge de 80 ans. Son numéro de dossier était le 404 645. 

  

Le temps de service 

La date d'incorporation 

Nous connaissons la date (l'année au moins) d'incorporation de 2011 des médaillés: 
 
1792 et av.
1793 à 99
1800 à 03
1804
1805
1806
1807
1808
1809
1810
1811
1812
1813
1814
1815
20
32
56
32
64
105
102
110
145
98
158
286
499
261
43
  

 

On peut remarquer trois éléments sur ce graphique: 

La faible représentation d'anciens combattants des guerres de la Révolution (on peut imaginer que bon nombre d'entre eux sont décédés avant la date d'attribution de la médaille) 

Le creux de 1810, une des rares années de paix de la période 1792-1815 

La surreprésentation des conscrits de l'an 1813. Une analyse plus fine permet même de confirmer un pic pour les mois de septembre à décembre 1813 (130 conscrits pour ces mois, sur les 248 dont le mois est connu en 1813, soit plus que pendant toute l'année 1808) correspondant aux Senatus-Consulte du 9/10/1813 et 15/11/1813 ordonnant la levée de 280 000 puis 300 000 hommes des classes 1814 et 1815. 

En 1815, par contre, peu de nouveaux soldats de la Haute-Loire paraissent avoir rejoint l'armée pendant les 100 jours. 43 d'entre eux seulement ont été incorporés pour la première fois pendant cette période. 
 

Le temps passé au service 

Nous connaissons à peu près le temps de service de 1952 de nos soldats: 
  
 
inf à 1 an
1 ans
2 ans
3 ans
4 ans
5 ans
6 ans
7 ans
8 ans
9 ans
10 ans
11 ans
12 ans
13 à 15 ans
16 ans et plus
68
404
390
288
169
124
133
91
99
76
38
14
11
14
27
 

  

Il est difficile de savoir exactement le nombre d'années de service que devait un conscrit du premier Empire. Théoriquement de 5 ans en temps de paix, cette période était illimitée en temps de guerre, ce qui fut le cas de manière quasi ininterrompue pendant la période qui nous intéresse. 

Parmi nos médaillés pour lesquels ce temps a pu être calculé (avec une marge de précision assez large, car beaucoup ne donnent que leur année d'incorporation), un petit nombre seulement a servi moins d'un an. Il s'agit pour la plupart d'entre eux de conscrits de 1814 ou 1815, rentrés chez eux au moment de la débacle d'avril 1814 ou après Waterloo. 

La majorité a servi de 1 à 2 ans. On retrouve là nos engagés des levées en masse de l'automne 1813, rentrant chez eux fin 1814 ou après Waterloo. Ceux qui ont servi 3 et 4 ans proviennent pour la plupart des classes 1811 et 1812. Là encore, seule la fin de l'Empire leur a permis de rentrer chez eux. 

Beaucoup de soldats ensuite ont servi entre 5 et 9 ans. Ils ont combattu jusqu'à la fin de la période, après avoir été enrôlés entre 1806 et 1811. 

Ceux qui ont servi plus de 10 ans sont plus rares, soit trop vieux pour survivre en 1857, soit parcequ'ils étaient finalement relachés après l'age de 30 ans, (alors que les textes prévoyaient 25…)… Beaucoup de ceux qui ont servi sur une très longue période sont en fait des conscrits qui n'ont pas quitté l'Armée en 1815, s'engageant comme militaires de carrière ou dans la gendarmerie. La palme de la longévité revient à Jean Claude Jouve, sergent de grenadiers de St-Didier-La-Seauve. Né en janvier 1775, il s'engage à 17 ans, en juin 1792 dans le 2° Bataillon des volontaires de la Haute-Loire. Il poursuivra sa carrière dans le 21° Régiment d'Infanterie Légère jusqu'en 1802, puis sera versé dans la gendarmerie. Il prendra sa retraite en octobre 1830 après plus de 38 ans de service…